Le phénomène de l’émigration qui a pris des dimensions inquiétantes n’est pas dans sa phase terminale au Sénégal. Malgré tous les problèmes notés dans ce drame, beaucoup de jeunes sont restés campés dans leur volonté de prendre le large pour trouver un lendemain meilleur dans l’eldorado catalan au risque même de leur vie. Si pour certains la cause principale de ce départ périlleux est un désespoir sur le plan de leur survie, d’autres sont en train de proposer des solutions pour permettre aux jeunes rester chez eux et d’y gagner leur vie.
EMIGRATION CLANDESTINE : Mamadou Diop Decroix dénonce l’absence d’une politique de la mer.
Le phénomène de l’émigration clandestine semble révéler beaucoup de réalités politiques dans la gestion du pays. A en croire certains responsables politiques, la cause ne saurait être déniché que dans l’absence d’une politique claire dans certains domaines comme celle de la pêche. C’est l’opinion de Mamadou Diop Decroix qui l’a exprimée ce week-end à Mbour alors qu’il était de passage chez les familles qui ont perdu des enfants dans ce phénomène.
Plus de 400 jeunes sénégalais ont perdu la vie dans l’océan atlantique pendant qu’ils tentaient de rallier l’Espagne afin d’y trouver un avenir plus certain. Un vague de consternation s’en est suivi dans la petite côte qui n’a pas encore fini de compter ses morts. De la Somone à Joal Fadhiout en passant par Ngaparou, Saly, Mbour, Nianing ou encore Pointe Sarène, la population s’est vidée de ses jeunes qui sont prêts à braver la mer afin de retrouver leur rêve dans l’Eldorado. Pour certains esprits, ce départ est dû à un manque de travail alors d’autres plus audacieux parlent de manque d’employabilité. Cependant, selon Mamadou Diop Decroix, le mal est à chercher ailleurs. « Certes, il y a un ministre de la pêche et de l’économie maritime, mais il n’y a pas une politique de la mer et sans cela vous ne pouvez pas voir la problématique de la modernisation des embarcations et de notre pêche pour que les pêcheurs ne puissent continuer à pêcher comme le faisaient les pécheurs des années 1800 – 1900 », a indiqué le leader de And Jëf. Pour lui, « il faut un nouveau code de la pêche qui permette de protéger la ressource. Il faut redéfinir les accords de pêche avec l’Union Européenne et réorganiser le secteur de la pêche car il y a des conflits entre les acteurs de la pêche ».
Dans le même sillage, Decroix estime que les problèmes du secteur de l’agriculture font également partie des raisons qui poussent les jeunes à s’adonner à l’émigration clandestine. Dans ce sens, il fustige le manque de politique agricole surtout envers les jeunes qui viennent des zones rurales continentales et qui faisaient de l’agriculture, l’élevage. « Là aussi, nous avons une agriculture qui ne marche pas. En 2012, le poids de l’agriculture dans le Pib était de 15% largement insuffisant là où le Burkina était à l’époque 27% voire 30% et l’Ethiopie était à 47% », montre-t-il. Il poursuit : « Aujourd’hui nous sommes à 9 ou 10%. Nous avons même reculé, alors dans ces conditions, la terre ne nourrissant plus son homme, les jeunes quittent les zones rurales, ils viennent en ville et là ils ne peuvent plus supporter la vie et la suite vous le savez ils prennent les pirogues pour aller en Espagne. Donc, c’est cette absence de vision politique qui permet de décliner des mesures adéquates, c’est ça qui est à la base de cette immigration », démontre Mamadou Diop.
Cette situation inquiète davantage Mamadou Diop Decroix d’autant plus qu’il trouve incompréhensible « le mutisme du Président de la République » devant ce qu’il qualifie de tragédie. De son point de vue, le silence du gouvernement et surtout celui du président Macky Sall est troublante. « Je ne sais pas qui a conseillé au pouvoir de marginaliser ce phénomène, de ne pas en parler ou de le banaliser à la limite pensant que cela va passer, que les gens vont oublier. Ce n’est pas ça ! Le président de la république doit s’adresser au peuple sénégalais pour leur dire ce qu’ils comptent faire. Je suis pessimiste parce que les politiques qui ont conduit à cette situation, je ne les vois pas en train d’abandonner ces politiques-là. Donc, on ne peut pas s’attendre à des solutions avec les politiques en cours » assure-t-il. De ce fait, il pense que « si nous voulons régler de manière structurelle ce problème, nous devons dire aux parents ce que ces jeunes vont chercher là-bas, ils peuvent trouver infiniment mieux ici. Ils veulent juste partir parce que là-bas ils se sont organisés et ont fait face aux problèmes qu’ils ont pu résoudre jusqu’à un certains points et c’est ça qui fait que les jeunes vont là-bas. Donc, si nous nous organisons ici, les jeunes vont rester. Actuellement, le vide est tellement béant que l’espérance s’est évanouie. C’est la raison pour laquelle, ils s’en vont, les jeunes n’ont plus d’oreille pour écouter les discours », martèle Mamadou Diop qui estime que l’argent de la Der et de l’Anpej devait être mis à la disposition de la jeunesse et non des politiciens. « Avec l’argent que ces jeunes payent pour se rendre en Espagne, si l’Etat les appuient, des projets structurants peuvent voir le jour. Mais, il faut mettre des leviers pour que l’argent ne soit pas détournés ou volés. Ces projets peuvent freiner l’immigration clandestine », soutient Decroix.
EMIGRATION CLANDESTINE : Les jeunes de la petite côte créent une plateforme de soutien psychologique des rescapés.
Pendant que les familles sont en train de faire le deuil pour leurs enfants morts en mer, les jeunes des principales communes de la petite côte se sont regroupés pour créer une nouvelle plateforme ’’ Stop Emigration Clandestine ’’, dont l’objectif est d’apporter un soutien moral et psychologique aux rescapés de la tragédie de l’émigration clandestine, mais également de déclencher un processus de recherche des autres victimes et perdus de vue.
’’ Stop Emigration Clandestine ’’ est une nouvelle plateforme de soutien aux familles éplorées dans le cadre du phénomène de l’émigration clandestine. Elle réunit des jeunes du département de Mbour qui ont lancée des avis de recherche en vue de retrouver toutes les victimes de ce drame. Selon le Coordonnateur Adama Diallo, plusieurs actions ont été déjà réalisées dans ce sens. « Nous avons rencontré la Directrice de l'hôpital de Grand Mbour, pour trouver des solutions afin d'assister les rescapés. On a subi une formation puis on est descendu sur le terrain pour faire des enquêtes auprès des rescapés afin de savoir leurs besoins psychologiques et sociaux. On a eu une satisfaction surtout avec les rescapés qui ont accepté de coopérer », a-t-il laissé entendre lors d’une rencontre des membres de la plateforme à Niannig. A cette occasion, il a révélé que pour ce village plus d’une dizaine de jeunes ont perdu la vie dans ce drame. Mais, précise Diallo, « mais il faut comprendre qu'il y a des gens qui ont embarqué à partir de Nianing et qui ne sont pas du village ». Avant de poursuivre : « Maintenant, nous sommes à la recherche de plusieurs personnes. On a reçu des appels de parents qui ont perdu de vue leurs enfants et qui ne savent pas dans quelle situation ils sont. Nous avons donc lancé des messages, publié des photos, mis des numéros pour avoir des informations sur ces jeunes dont on ignore jusqu'à présent la situation ». Grâce à ce procédé, le Coordonnateur Adama Diallo informe : « Nous avons réussi à retrouver une personne, malheureusement qui a perdu la vie en cours de route. Nous avons également trouvé une autre qui était en Mauritanie et qui habite dans la zone. D'autres recherches sont en cours. Mais comme nous n'avons pas encore d'informations nettes et précises, on ne peut pas en dire plus ». Pour lui, ce qui pousse les jeunes à aller prendre les pirogues pour aller vers les pays européens, c'est surtout 2 secteurs qui sont gelés ici à Nianing. « C'est le secteur touristique et la pêche. Parce qu’ici on avait des hôtels, mais presque tous les hôtels ont fermé. Les bailleurs sont partis et il n'y a plus de bailleurs pour exploiter ces hôtels. Donc, on demande à l'État de trouver des bailleurs qui pourraient reprendre l'exploitation de ces hôtels pour que ces jeunes puissent trouver encore de l'emploi et rester au pays pour réussir ici », préconise-t-il.
Dans la foulée, il lance un appel aux jeunes candidats à ce périple : « aux jeunes qui veulent migrer vers l'Europe ou ailleurs, on leur dit qu'il y a des possibilités de migrer, mais dans une voie normale et légale sans pour autant risquer leur vie. Ils y des solutions d'aller vers ces pays parce qu'il y a certaines personnes dont la réussite peut être ailleurs. Donc, ce qu'ils peuvent faire, c'est de passer par une voie normale et légale et ne pas tenter leur vie », martèle-t-il. Dans ce sens, « nous demandons à toutes les ambassades, et à l'État de faciliter cette tâche aux jeunes qui veulent dans les autres pays pour y gagner leur vie », suggère-t-il.
EMIGRATION CLANDESTINE : Innocence Ntab Ndiaye propose la solution de la concertation.
A la problématique de l’émigration clandestine, beaucoup de personnes sont en train de préconiser des solutions pour venir à bout de ce phénomène. Le Haut Conseil du Dialogue Social n’est pas en reste dans ce sens. Selon la Présidente de l’Institution, il faut plus qu’un dialogue, mais une concertation nationale autour de la problématique.
L’ampleur qu’a prise le phénomène de l’émigration clandestine continue de faire parler. Beaucoup de personnes ont commencé à proposer des solutions pour venir à bout de ce phénomène. Pour Innoncence Ntab Ndiaye, la solution n’est plus qu’une médiation mais, c’est d’abord une concertation au niveau national. Elle estime que la question du chômage ne doit pas être aussitôt la réponse de l’émigration. Pour elle, il faut réfléchir sur certaines questions cruciales qui permettront d’entrer dans la profondeur du sujet. « Il y a des questions sociétales qui dépassent véritablement la question du chômage. Maintenant, le dialogue, il faut l’organiser aussi. Si nous prenons en charge cette question, nous devrons faire appel certainement à des organisations de jeunes. Et le haut conseil du dialogue social également est ainsi organisé. Nous avons un cadre, mais nous pouvons faire appel à une expertise extérieure. Ça peut être des jeunes venus de zones de départ différentes. Nous sommes à Mbour, et ils vont nous dire ce qu’ils sont allés chercher, les raisons qui les motivent. Nous allons certainement auditionner les parents également pour comprendre un peu le phénomène le Sénégal », indique-t-elle.
Dans cette lancée, Mme Ndiaye, pense qu’il y a beaucoup d’appréhensions sociales qu’il faut supprimer, « une approche qu’il faut supprimer dans la société. Et ça requiert un travail de dialogue, un travail de concertation, de discussion parce qu’il faut que les jeunes disent ce qu’ils veulent. Parce que le gouvernement sa mission n’est pas de donner du travail mais de créer un cadre qui puisse permettre la productivité qui puisse faire en sorte que les employeurs, les organisations d’employeurs qui sont membres du haut conseil, puissent donner du travail, mais est-ce que ce cadre existe ? Un cadre incitatif qui puisse permettre d’avoir du travail ? », s’inquiète-t-elle. Dans le même cadre, elle montre également le rôle des religieux. « Les religieux aussi sont concernés. Donc, c’est une véritable concertation nationale qu’il faut avoir sur la question. Aussi, au niveau international revisiter les accords avec les pays, voir ce que ses pays offrent aussi. Si ça ne vaut pas le coup, ce n’est pas la peine de partir », précise-t-elle. Avant de révéler : « j’ai été saisi par les iles Canaries. Il y a eu beaucoup de départs pour les iles Canaries et un ONG qui est dans les iles Canaries m’a demandé si on ne pouvait pas faire quelque chose sur l’émigration. Vraiment, ma porte est ouverte toutes les questions qui peuvent aboutir à la stabilité sociale nous intéresse et nous interpelle », assure Innocence Ntab Ndiaye.
EMIGRATION CLANDESTINE : la DER (Délégation à l’Entreprenariat Rapide) va injecter 100 milliards pour l’emploi des jeunes.
Dans le but de créer un cadre qui puisse permettre aux jeunes de trouver du travail ou de créer leur propre travail, l’état du Sénégal a mis sur pied des mécanismes qui font la promotion de l'emploi, l'employabilité et l'entrepreneuriat des jeunes, dont la DER. Selon le Directeur Général de cette institution, la Der a déjà injecté soixante milliards de francs au cours de ses deux dernières années et le département de Mbour a bénéficié d’un milliards. Il annonce une autre enveloppe plus conséquente pour participer à stopper le phénomène de l’émigration clandestine.
« Le président de la république nous a demandé d'apporter une mesure urgente. D'ailleurs, c'est ce qu'on fait ; depuis dix jours les équipes sont sur le terrain. Que ça soit ici à Mbour, à Saint Louis ou dans le sud, pour essayer d'identifier le nombre de jeunes partis, le nombre de rescapés et le nombre de personnes potentiellement candidats au départ », a informé Papa Amadou Sarr. Selon le Directeur Général de la DER, l'idée de ces visites est de discuter avec les jeunes, d’essayer de les dissuader, de leur faire comprendre que l'espoir est de rester travailler ici dans leur pays. A l’en croire, « il était mis en place des dispositifs qui permettront de les accompagner. Et aujourd'hui, à la demande du Chef de l'état, nous avons structuré 100 milliards de francs pour accompagner les jeunes et les femmes sur l'ensemble du territoire sénégalais », renseigne-t-il. Il précise : « ce n'est pas dédié exclusivement aux migrants, mais ils ont tous le moyens d'y accéder à condition de répondre aux critères qui sont très simples : d'être sénégalais, être âgé de 18 ans - 40 ans pour les hommes et pour les femmes il n'y a pas de limite d'âge », informe M. Sarr qui ajoute, « donc on les accompagne et les forme en partenariat avec le ministère de la formation professionnelle et de l'emploi, le ministère de la jeunesse mais aussi les autres ministères sectoriels, car au-delà des 100 milliards dont nous disposons, il y a le ministre de l’agriculture qui a un programme sur le domaine de l'agriculture, de de l'élevage, la pêche etc. ». Pour le DG, « l'état n'est pas outillé pour créer de l'emploi pour toute la jeunesse nous avons deux mille qui rentrent dans le marché de l'emploi parrainé et aujourd'hui l'auto emploi a le beau jour devant lui ,la créativité et l'entrepreneuriat et nous sommes là pour impulser cette souffle ». Mamadou Sarr indique dans le même cadre que son institution reçoit annuellement beaucoup de demandes des jeunes qui veulent se lancer dans l’auto-emploi. De ce fait, il invite les candidats à formuler des projets et à les déposer pour bénéficier de ces faveurs de l’Etat. « Je pense que nous avons eu cinq cent mille demandes en deux ans. Les jeunes savent où nous sommes, nous avons notre site web, nous avons l'un des sites les plus visités dans ce pays comme vous voyez tous, les jours certains jeunes nous critiquent parce qu’ils n'ont pas touché le financement, ça veut que nous ne pouvons pas servir tout le monde », précise M. Sarr.
Selon, Néné Fatoumata Tall, la solution s'est de rester au pays car tous les pays qui se sont développés, se sont développés avec la jeunesse. Donc, le Sénégal compte sur cette force vive pour se développer. « Quand on parle de l'émergence à l'horizon 2035, on ne peut compter que sur eux. C’est la raison pour laquelle nous prenons très au sérieux ce phénomène de l'émigration irrégulière pour faire rester les jeunes au pays. Mais, on ne peut pas dire qu'on va les retenir avec les mains vides. la DER est plutôt là pour financer, la formation professionnelle et nous également dans le cadre de l'insertion professionnelle, l'employabilité. On est là donc, tous les mécanismes de l'état sont réunis pour accompagner les jeunes de la petite côte », assure le Ministre de la jeunesse. Selon elle, beaucoup de raisons sont liés à cet émigration irrégulière : il y a la covid-19, la conjoncture mondiale mais également un rêve qu'on leur a vendu qui en réalité n'existe pas.
DAME DIOP, Ministre de la Formation Professionnelle de l’Emploi et de l’Economie Numérique : il faut préparer les jeunes à s’adapter et à se reconvertir.
Pour le Ministre Dame Diop, il faut d’abord procéder par une formation des jeunes avant de pouvoir leur octroyer des financements. « Il faudrait que les gens aient la culture de la reconversion en fonction des opportunités économiques. C'est vrai que dans la pêche il y a la rareté des ressources, mais les causes sont multiples. Les acteurs l'ont dit mais, ce n'est pas seulement spécifique à la pêche. Je pense qu'aujourd'hui, il y a beaucoup de nouveaux métiers qui naissent et qui vont naître. Il faudra préparer la jeunesse à ces métiers-là. L'employabilité dont on parle, c'est une question de préparer les jeunes à s'adapter, avoir un métier et à se reconvertir au besoin pour conserver leur travail », martèle-t-il. Il estime que le système éducatif fondé sur l'enseignement général a montré ses limites aujourd'hui par rapport aux nouvelles perspectives économiques du pays. « Nous avons besoin d'ouvriers qualifiés, de techniciens supérieurs et d'ingénieurs, donc, des gens qui ont la formation professionnelle. C'est pour cela que le président de la république a décidé au-delà des centres qu'il a construits depuis qu'il est arrivé au pouvoir, de construire 45 nouveaux autres centres de formation dans les domaines aussi divers que variés tels que l'agriculture au sens large », a révélé Dame Diop. Pour lui, le préalable à la réussite, c’est d’être formé et avoir un accompagnement financier. Dans cette dynamique, il promet, « nous sommes prêts, une fois que les projets sont stabilisés avec la DER et le ministère de la jeunesse, et c'est une question de jours et que la formation devrait forcément précéder le financement. Car, il ne s'agit pas de financer pour financer. En amont, il faut préparer les jeunes parce que l'une des causes de départ, c'est la question de l'emploi, il ne faut pas se voiler la face. Mais, ce n'est pas la seule raison. Nous avons pensé qu'aujourd'hui pour régler le problème de l'emploi, c'est non seulement l'entrepreneuriat mais également l'auto-emploi. Nous devons donc préparer notre jeunesse, les formés professionnellement pour qu'ils puissent avoir un métier et ensuite les encadrer pour qu'ils puissent entreprendre, enfin de financer avec la Der pour qu'ils puissent développer leurs activités. Et après, on assurera le suivi », indique le Ministre.